Les arpenteurs poétiques – Svetlana Alexievitch et Marina Tsvetaïeva

Les arpenteurs poétiques – Svetlana Alexievitch et Marina Tsvetaïeva

 
Diffusion : Jeudi 22 juin 2023 à 19h15
Rediffusion : Dimanche 25 juin 2023 à 11h
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une émission préparée par Noée Maire
avec la participation de Coralie Poch, Serge Vaute-Hauw et Vincent Alvernhe

sommaire
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> Svetlana Alexievitch
> halte poétique ‘je te poème’ : Audomaro Hidalgo
>
halte poétique ‘le petit marché’, les coups de cœur des arpenteurs 

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La Fin de l’homme rouge
de Svetlana Alexievitch
poèmes de Marina Tsvetaïeva

Ce mois-ci, le cœur des arpenteurs bat au rythme de l’âme de la grande culture russe avec deux de ses voix: Svetlana Alexievitch, Biélorusse et Ukrainienne, qui a écrit en 2013 La Fin de l’homme rouge, ou le temps du désenchantement, et la poète Marina Tsétaïéva, morte en 1941. A travers la première, ce sont les voix du « peuple rouge » qui se font entendre, car Svletana Alexievitch écrit des livres de témoignage dans lesquels ceux qu’elle rencontre racontent leur vie, les petits riens, l’amour surtout, et derrière on devine la grande histoire, celle effroyablement violente de l’empire soviétique et de son effondrement.

Mon parti-pris a été de sélectionner dans les 676 pages du livre, uniquement des paroles de femmes, et uniquement celles qui les reliaient à la beauté du monde et au sens de la vie. La guerre, la torture, les génocides, la souffrance inouïe de ces gens sont bien dans le livre, et s’ils n’apparaissent dans l’émission qu’au détour d’une phrase, d’un mot parfois, on les devine.

Svetlana Alexievitch a reçu le prix Nobel de littérature en 2015. Dans son discours et sur le modèle de Flaubert qui se voyait « homme-plume », elle se dit « femme-oreille » : « Je suis à la recherche d’une langue. Les hommes ont beaucoup de langues : celle dans laquelle on parle aux enfants, celle dans laquelle on parle d’amour … Et puis la langue dans laquelle nous nous parlons à nous-mêmes, dans laquelle nous tenons des conversations intérieures […] J’aime la façon dont parlent les gens … J’aime les voix humaines solitaires. C’est ce que j’aime le plus, c’est ma passion.

Elle livre aussi son propre témoignage : « Je ne suis pas toute seule sur cette tribune, je suis entourée de voix, de centaines de voix, elles sont toujours avec moi. Depuis mon enfance. Je vivais à la campagne. Nous, les enfants, nous aimions bien jouer dehors, mais le soir nous étions attirés, comme par un aimant, par les bancs sur lesquels les vieilles babas fatiguées se rassemblaient près de leurs maisons […] Notre monde à nous, les enfants de l’après-guerre, était un monde de femmes. Je me rappelle surtout que les femmes parlaient non de la mort, mais de l’amour. Elles racontaient comment elles avaient dit adieu pour la dernière fois à ceux qu’elles aimaient, comment elles les avaient attendus et les attendaient encore. Les années avaient passé, et elles attendaient toujours : « il peut revenir sans bras, sans jambes, du moment qu’il revient … Je le porterai … Sans bras… Sans jambes …Je crois que j’ai su dès l’enfance ce que c’est que l’amour. »

Quant à Marina Tsétaïéva, elle aussi a été victime de la violence qui a secoué la Russie dans la première moitié du XX siècle, et même si lors de la révolution de 1917 elle avait choisi le camp des Blancs, elle m’a semblé tellement proche des témoignages de ces « femmes rouges ». Elle illustre cette phrase que Svetlana Alexievitch rapporte : La vie en Russie doit être féroce et sordide, du coup, l’âme s’élève, elle prend conscience qu’elle n’est pas de ce monde.

Noée Maire

 

 

 

 

 

 

 

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un poème de Marina Tsvetaïeva  

Refus d’être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d’y vivre.
Avec des loups régents

Des rues – hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines –
Non ! – Glisser : je refuse –
Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
A ton monde insensé
Je ne dis que : refus.

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musiques de l’émission

Tchaïkovsky, Roméo et Juliette ouverture fantastique
Dakhabrakha, album Yahudky n°9
Short Paris, This is Moscow speaking
(Short Paris est un groupe russe qui questionne l’identité russe)
Dakhabrakha, Yahudky
Dakhabrakha, Alambari
Dakhabrakha, Ya Siv Ne V Toy Lutak
Clara Ysé, Soldat
Dakhabrakha, Dibrova

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halte poétique ‘je te poème’ : Audomaro Hidalgo

Jean-Marc Barrier a rencontré ce poète mexicain lors d’un festival de poésie au Havre… Nous le découvrons en quelques poèmes,
et quelques réponses, juste avant la parution de son prochain livre Les desseins de l’intempérie, éditions Phloème.

Audomaro Hidalgo (Villahermosa, Tabasco, 1983).
Poète, essayiste et traducteur mexicain. Il a publié Incision (éditions Phloème, 2022), Sajadura (Enésima, 2022), Madre saturno (SCT, 2020), Pequeña historia de la destrucción (Circulo de Poesía/Valparaíso, 2017), et El fuego de las noches (IEC, 2012). Il a traduit Medea de Pascal Quignard, Apocalypse pour notre temps de Yves Ouallet, et il est aussi l’auteur de l’anthologie El gallo y la serpiente. Poesía francesa actual. 1967-1990. Ses poèmes ont été inclus dans les anthologies Muestra de literatura joven de México, Antología de poesía contemporánea. México-Colombia; Antología de Jóvenes Creadores del FONCA et 20 años de poesía joven en México. Il a été boursier de la Fondation pour les Lettres Mexicaines, du Fond National pour la Culture et les Arts, du Fond de l’Etat pour la Culture et les Arts de Tabasco, du Programme d’Appui pour la Création et le Développement Artistique et du Programme Académique de l’Union des Universités de l’Amérique-Latine. Il a obtenu le Prix de Poésie «José Carlos Becerra» 2013 et le Prix National de Poésie «Juana de Asbaje» 2010. Il a étudié la Littérature Hispanoaméricaine à l’Université National du Littoral, à Santa Fe, en Argentine. Il est diplômé du Master en Lettres, Arts et Langues de l’Université du Havre. Il vit en France depuis six ans.

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un poème de Audomaro Hidalgo

Pájaros

Pájaros en el centro del verano,
profusos como un paisaje de mástiles,
cantando cerca pero lejos.
Marinos y terrestres pájaros,
sombríos y solares,
fugitivos, errantes, estacionarios.
Pájaros pendencieros
al fondo de mi sangre.
Bandadas de colores y de nombres:
pájaros de papel colmando
el cielo policromo de mi infancia.
Pájaros de placer que rozan
con su caliente sombra
las cinturas desnudas de la tierra;
un oleaje oscuro de pájaros
como una mano abierta,
posada en la blancura de tu vientre.
Pájaros más incandescentes que las galaxias,
más altivos que el fuego de los astros,
cantando cerca pero lejos.
Pájaros que desgarran,
pliegan el tiempo en cada aleteo,
viaja con ellos el espacio:
pájaros en el mar normando,
desde el Golfo de México vinieron
puntuales a las cinco de la tarde.
Pájaros que me buscan o que busco,
no importa, da lo mismo,
espero siempre, paciente los escucho.
Oigo sus vuelos entre dos siglos,
en una calle donde estuve
y que hoy me sale al paso en otra calle.
Pájaros engendrados por mi deseo,
colgados del alambre del horizonte
eléctrico, filoso, deslumbrante.
En la hora ardiente del verano
mi ser de pájaro con ellos canta.

Oiseaux

Oiseaux en plein cœur de l’été,
profus comme un paysage de mâts,
si près mais au loin chantant.
Oiseaux marins et terrestres,
sombres et solaires,
fugitifs, errants, stationnaires.
Oiseaux querelleurs
au fond de mon sang.
Nuée de couleurs et de noms:
oiseaux en papier remplissant
le ciel polychrome de mon enfance.
Oiseaux de plaisir frôlant
de leur ombre chaude
les hanches nues de la terre ;
houle obscure d’oiseaux
comme une main ouverte,
posée sur la blancheur de ton ventre.
Oiseaux plus incandescents que les galaxies,
plus fiers que le feu des astres,
si près mais au loin chantant.
Oiseaux qui déchirent,
plient le temps à chaque battement d’ailes,
voyage avec eux l’espace :
oiseaux sur la mer normande
arrivés du Golfe du Mexique
précis à cinq heures de l’après-midi.
Oiseaux qui me cherchent ou que je cherche,
qu’importe, c’est du pareil,
toujours j’attends, patient je les écoute.
J’entends leurs vols entre deux siècles,
dans une rue que j’ai parcourue
et qui dans une autre résonne aujourd’hui en moi.
Oiseaux engendrés par mon désir,
suspendus au fil de l’horizon
électrique, vif, éclatant.
À l’heure brûlante de l’été
mon être d’oiseau chante avec eux.

Traduit par Gaëtane Muller Vasseur

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merci à Solène pour la technique
merci à Laure-Anne Darras qui a créé notre générique…
http://soundcloud.com/les-arpenteurs-poetiques/generique-de-lemission-les-arpenteurs-poetiques

 

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